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Voyage d'une praticienne narrative au pays du codéveloppement

Cela fait maintenant presque 5 ans que j'ai commencé mon voyage au pays du Codéveloppement. C'est mon amie Blandine qui, la première, m'a parlé de ce lieu où l'on apprend les uns des autres et j'avais eu envie d'aller y faire un tour.


Ce fut un premier séjour enrichissant et je me suis rapidement sentie en terrain familier. En parallèle je commençais ma traversée narrative et je choisissais de développer et enrichir mon identité de praticienne narrative. Durant ces quelques années je voguais entre les deux contrées, traversant des ponts, découvrant un pays à la fois très différent et très similaire.

Peut-être avez-vous déjà vécu cette sensation étrange et familière ? Pour ma part cela me ramène à mes premières vacances sans mes parents. Pour la première fois le décor de mon été s'élargissait, ne se limitait plus à ce petit village montagnard de Corse, et je visitais avec plaisir et curiosité différentes régions de France. La découverte de la Corrèze marqua mon coeur de cette sensation, d'un inconnu pourtant connu, je m'y sentais "chez moi". Ce ne fut que bien plus tard que je compris que la présence des châtaigniers, des fougères, la fraicheur des cours d'eau ombragés et une certaine façon des habitants d'être au temps qui passe avaient nourri cette impression.


C'est lors d'une formation à la systèmie paradoxale que j'ai réalisé tous les points communs à ces deux approches, tout ce qui faisait que je m'y sentais "chez moi". J'en vois de très nombreux, et je vous propose d'en regarder trois, ensemble, aujourd'hui : la posture, la relation aux autres et la notion de temps.


Au premier abord le Codéveloppement professionnel et managérial (et oui c'est son nom complet), paraît être un outil simple, facile d'utilisation. Une méthode structurée, à appliquer strictement : 6 étapes, des rôles clairs et définis. Mais la vraie valeur ajoutée du Codéveloppement n'est possible que grâce à la posture de l'animateur, une posture... devinez quoi ? Oui, une posture décentrée et influente (même si ce n'est pas le vocabulaire utilisé au pays du Codéveloppement). En effet dans le Codéveloppement on considère "le client", celui qui amène un projet, un problème ou une préoccupation, comme l'expert de sa situation et la seule intention de l'animateur est que les participants apprennent les uns des autres, apprennent à écouter pour clarifier et non pour résoudre, découvrent que leurs expériences peuvent résonner sur les autres, et expérimentent ainsi cette fameuse posture.

En Pratiques Narratives comme en Codéveloppement on ne “veut” rien pour le ou la client.e, si ce n’est lui offrir la possibilité de faire ses propres choix en ayant bénéficié d’un temps pour regarder sa situations sous des angles qu’il ou elle n’avait pas envisagés avant.

La posture décentrée du praticien narratif est pour moi une autre manière de nommer ce que l'on appelle questionner la vision du monde du client en Codéveloppement. Cela vient, à mon sens, du fait que les Pratiques Narratives, tout comme le Codéveloppement, sont des approches "non normatives". Ce qui, en Pratiques Narratives pourra être une question du type "Pouvez-vous m'expliquer, m'apprendre, ce que signifie délégation pour vous ? Avez-vous un exemple concret de délégation à me raconter ?" pourrait être en facilitation de Codéveloppement une question au groupe "Notre client nous parle de délégation, avons-nous suffisamment exploré ce qu'il entend par là ? A quoi cela correspond-il pour lui concrètement ?"

En tant que praticienne narrative, l'influence de ma posture n'a qu'un seul objectif : que mon client redevienne auteur de sa vie. En Codéveloppement, un des objectifs est " apprendre à être plus efficace en trouvant de nouvelles façons de penser, de ressentir et d’agir dans sa pratique actuelle."

Le praticien narratif, tout comme le groupe de Codéveloppement, ne cherche pas à résoudre ou solutionner un problème, mais à éclairer sous différents angles et faire réfléchir, ce qui permet ensuite au client de faire ses propres choix vis à vis du problème initial.


Ce qui m'amène tout naturellement à un autre point commun entre les deux pratiques : la relation aux autres. En Codéveloppement on s'intéresse à ce que pense, ressent, fait le client, par rapport à sa situation et à son contexte, pour consolider son identité professionnelle, en comparant sa pratique professionnelle à celles des autres. C'est en partageant les visions du monde et les expériences des différents membres du groupe que chacun, client et consultants, peut être amené à réfléchir et à assouplir sa propre vision. Un postulat de base des Pratiques Narratives est que l'identité est relationnelle, qu'elle se construit à partir d'histoires, d'histoires que l'on se raconte sur nous et que les autres racontent sur nous. Et, comme toutes les histoires, elles ont besoin de public pour exister. Notre identité professionnelle n'échappe pas à cette règle.

En Pratiques Narratives, nous utilisons l'exercice du témoin extérieur, qui consiste à faire "résonner" le témoin d'une conversation narrative en lui demandant, entre autres, en quoi le fait d'avoir écouté cette conversation lui fait écho, vers où cela lui donne envie d'aller, ce que cela lui donne envie de faire, envies qu'il n'aurait peut-être pas eues s'il n'avait pas assisté à cette conversation. Puis nous reposons les mêmes questions au client qui vient d'entendre les réponses du témoin. Là encore, le partage des expériences et des visions du monde permettent à chacun, client et témoin, de réfléchir et de voir la situation sous de nouveaux angles. De plus, cette relation permet d'expérimenter et d'apprendre sur sa propre façon d'aider et d'être aidé.

La posture décentrée et influente est ici primordiale, puisque non normative, elle permet le climat de confiance nécessaire à ces apprentissages, de la même manière que le cadre posé par le facilitateur de Codéveloppement en terme de confidentialité, bienveillance et parler vrai.


Enfin, un autre point commun qui m'a frappé est lié au temps. Dans un monde où l’un des discours dominant nous parle en permanence en "Fais plus vite", “Sois plus efficace”, “Deviens agile”, les Pratiques Narratives, comme le Codéveloppement, laissent la place au temps long.

Cette similitude m’est apparue lors de la douzième journée des praticiens de l'AFCODEV (Association Française du Codéveloppement) en Novembre 2018. Roger-Pol Droit y donnait une conférence intitulée "Qu'est-ce que réfléchir et se remettre en question dans une société de l'instantanéité ?"

Il y questionnait la possibilité de réfléchir "vite" à sa pratique, le risque de confondre pensée réflexive et pensée réflexe. Il soulignait le fait que les entreprises devront probablement apprendre à allier le temps court nécessaire pour aller vite et le temps long nécessaire pour la réflexivité qui permet la pensée alternative.

Le Codéveloppement s'appuie sur le temps long pour favoriser une pensée réflexive. Même s'il peut s'adapter sous forme de temps court (mode "coup de pouce") dans certains cas, le Codéveloppement s'épanouit sur le temps long, temps d'une séance mais également temps d'un cycle qui varie de 6 mois à un an. C'est entre autres ce temps long qui permet de créer et d'enraciner le climat de confiance et de solidarité, terreau fertile de l'apprentissage entre pairs. Je retrouve ce respect du temps long dans les Pratiques Narratives, bien que de manière différente. Je me souviens d'une de mes premières séances de formation aux Pratiques Narratives, la formatrice nous disant qu'il était autorisé de flâner avec son client ou sa cliente. Le Larousse donne comme définition de flâner : "Se promener sans but, au hasard, pour le plaisir de regarder. Paresser, perdre son temps".

Dans une société de l'efficacité et de l'agilité, quelle transgression ! Cette autorisation fut une véritable bouffée d'air pour moi, elle venait confirmer ce qui n'était jusque-là qu'une intuition : prendre son temps n'est pas le perdre, mais bien au contraire le remplir. Lorsque nous flânons en Pratiques Narratives, nous ne perdons pas de vue notre intention de rendre notre client auteur, nous utilisons le temps long pour prendre le temps de regarder sous différents angles et réfléchir à ce que cela nous apprend.


Comme entre la Corrèze et la Corse, les points communs cohabitent avec de nombreuses différences, qui rendent chaque paysage unique. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces similarités et différences. J'émets le voeu que ces quelques lignes vous auront donné envie de nourrir votre curiosité en allant voyager au coeur de ces deux pays. Je vous conseille vivement le site de l'Afcodev et celui de Traversées Narratives. Vous trouverez ci-dessous quelques conseils de lecture.


Je vous souhaite bon voyage.



Le Groupe de CoDéveloppement professionnel

Adrien PAYETTE et Claude CHAMPAGNE

Presse de l’université du Quebec


Le codéveloppement professionnel et managérial

Anne Hoffner-Lesure, Dominique Delaunay

EMS


Qu’est ce que l’approche narrative

Alice Morgan

Interéditions


Les pratiques de l’approche narrative

Livre collectif

Dunod


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